De « Souffrir pour évoluer » à la Réduction ontologique


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En survolant les phrases-clés de recherche dans les statistiques de ce site, je lis : « souffrir pour évoluer ». Quelqu’un(e) est donc arrivé(e) sur ce site après avoir saisi « souffrir pour évoluer » dans son moteur de recherche préféré.

Cela me laisse un brin songeuse.

J’ai envie d’élaborer un peu là-dessus, car il n’est pas impossible – tout en n’étant pas certain – que la personne qui cherche sur internet de la lecture sur « souffrir pour évoluer » soit elle-même en train d’expérimenter un certain niveau de souffrance.

Avertissement

A ce moment de ma propre expérience, les références, les lectures et les enseignements tendent à se fondre dans la globalité des pensées qui m’habitent et que, peu à peu, j’incorpore – ou plutôt, ce sont elles qui s’incorporent en « moi », ou bien disons que les pensées et « moi » tendons à faire corps. Peut-être une forme de synthèse est-elle en train de s’accomplir par elle-même dans mon esprit qui, peu à peu, lâche son besoin d’analyser et de comprendre, en le confrontant à une expérience plus directe et sensible de la réalité – ou de ce que l’on considère comme tel, ce qui est un autre débat fort vaste.

Mon approche du Yi King, en pratique, suit ce même mouvement.

Définitions (simplifiées)

Ontologique :  relatif à un questionnement philosophique qui pose la question de l’être, du non-être et du paraître.

Souffrance (définition de Wikipédia) : « La souffrance, ou la douleur au sens large, est une expérience de désagrément et d’aversion liée à un dommage ou à une menace de dommage chez l’individu. »

Les dictionnaires semblent considérer que « douleur » et « souffrance » sont synonymes. Le sens et la connotation de ces deux termes me semblent pourtant différents.

Je retiens les notions d’expérience et de menace (celle-ci désignant un danger potentiel, donc pas forcément réel et possiblement lié, pour une part, à une représentation subjective).

Association d’idées Zen

« La douleur est inévitable. la souffrance est optionnelle. » (Adage Zen)

Cette sentence peut sembler bien abstraite pour celui qui, momentanément, fait l’expérience de la souffrance. Insistons sur cette formulation et sur le caractère nécessairement transitoire de la souffrance : dire « Je souffre » est moins (ou, pourrais-je dire en parodiant Tchouang Tseu : « vaut moins ») que de dire « Je fais l’expérience de la souffrance ».

Association d’idées Tao

« Vouloir démontrer en partant de l’idée (en elle-même) que les idées  (dans les choses) ne sont point l’idée (en elle-même) vaut moins que de vouloir démontrer en partant de la non-idée que les idées (dans les choses) ne sont pas l’idée (en elle-même). Vouloir démontrer en partant de cheval (en général) qu'(un) cheval (blanc) n’est pas (un) cheval (en général) vaut moins que de vouloir démontrer en partant du non-cheval qu'(un) cheval (blanc) n’est pas (un) cheval (en général). En vérité, l’univers n’est qu’une idée ; tous les êtres ne sont qu’un cheval. »
(Tchouang Tseu, Œuvre complète, éd. Gallimard, chapitre « La Réduction ontologique », p. 38).

La suite du texte est intéressante également :

« C’est en marchant que la voie est tracée ; c’est en nommant que les choses sont délimitées ainsi. Comment dire oui à une chose ? On dit oui à une chose qui est. Comment dire non à une chose ? On dit non à une chose qui n’est pas. Comment juger ce qui est possible ? On considère comme possible une chose qui est possible. Comment juger ce qui n’est pas possible ? On considère comme impossible une chose qui n’est pas possible. Toute chose a sa vérité ; toute chose a sa possibilité. Il n’est rien qui n’ait sa vérité ; il n’est rien qui n’ait sa possibilité. »

Poursuivons un peu plus avant la lecture, toujours à la suite (op. cit., p.39) et voyons ce que ces balancements expriment :

« C’est ainsi qu’une tige mince et un gros pilier, une femme affreuse et la belle Si-che, le grand et l’extraordinaire, la ruse et le monstre se résorbent tous dans l’unité du Tao. Cette unité se divise en formant des êtres ; en formant des êtres, elle se détruit. Ainsi, tout être n’a ni achèvement ni destruction, car il se résorbe finalement dans l’unité originelle. »

Et Tchouang Tseu de conclure :

« Seul l’illuminé sait que la compréhension mène à l’unité, aussi rejette-t-il ses préjugés pour s’attacher à la juste mesure. La juste mesure permet la pratique, la pratique amène un résultat, le résultat représente le succès. Parvenir au succès est proche du Tao. Il faut affirmer les faits. Accomplir sans savoir pourquoi, voilà le Tao.« 

La souffrance n’est qu’une idée

En fait, les émotions négatives (les autres aussi, mais curieusement elles nous dérangent moins… – en d’autres termes, nous sommes moins soucieux de nous en désidentifier, car c’est bien d’identification aux émotions, négatives ou positives, qu’il s’agit) n’ont de réalité que celle que nous sommes prêts à leur accorder. Elles sont leur propre objet et nous détournent de notre responsabilité de sujet, d’être (d’Être) doté de conscience, cette conscience capable de voir et de décider ce qui est et ce qui n’est pas.

Considérer une chose comme possible est condition d’existence de cette chose. L’attention même que l’on porte à une pensée est l’énergie qui la nourrit. C’est pourquoi il est si important de s’entraîner à observer ses pensées.

Que l’on ait le sentiment d’y arriver ou non a, à mon sens, peu d’importance, au moins dans un premier temps. L’important, c’est d’essayer car le fait même de dire : « J’essaie d’observer « ma » souffrance » (par exemple…), c’est commencer à reconnaître l’existence de celle-ci et à accepter l’idée que la chose « souffrance » n’est pas une partie intégrante et essentielle de « moi ». On commence ainsi à reconsidérer la part de réalité et de possibilité de la chose « souffrance », même si, au premier stade de l’observation, cela n’est pas conscient.

« Ma » souffrance. « Mon lumbago. « Mes » problèmes bancaires. Nous sommes bien attachés à tout ce qui nous éloigne de la joie lumineuse présente en chacun de nous et qui n’attend que la flamme de notre attention pour s’embraser et illuminer notre vie. Cet attachement négatif nous agit d’autant plus puissamment que nous n’en avons la plupart du temps pas conscience. Ainsi, reprenant la formulation de Tchouang Tseu, on pourrait dire : « Dire « ma souffrance » vaut moins que de dire « la souffrance que je ressens », qui vaut moins que de dire « l’expérience de souffrance que je vis en ce moment », qui vaut moins que de dire « l’expérience provisoire de souffrance que j’ai créée pour apprendre à me connaître en tant que conscience »…

Souffrance versus évolution

« La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer. » (Antoine de Saint-Exupéry)

La réduction ontologique rejoint un processus de dépouillement de ce qui encombre l’âme, l’empêchant de focaliser son attention sur ce qui est essentiel, sur son désir profond.

La souffrance devrait être optionnelle, mais pour beaucoup d’entre nous, l’expérience négative, le drame, le désastre sont les seuls moyens dont l’univers (en tant que terrain d’expérimentation) dispose pour nous ouvrir à une dimension plus profonde de notre propre présence. Dans le grand théâtre de l’existence, le « je » qui souffre est un personnage qui peut me permettre de prendre conscience que « je » ne suis pas cela.

Alors revient LA question fondamentale du « Qui suis-je ? ». Qu’est-ce qui est et qu’est-ce qui n’est pas ? Si « ça » change, c’est que « ça » n’est pas réel. Sans début, il ne peut y avoir de fin. Or la souffrance commence à un endroit dans notre existence, fût-il même très éloigné dans notre chronologie personnelle. Cela a commencé, donc cela peut cesser. Entendons-nous bien : à ce stade de la réflexion, l’important n’est pas tant que cela cesse (même si c’est sans doute souhaitable car plus confortable) ; l’important est de voir que, puisque cela n’a pas existé de toute éternité, cela n’est pas réel.

« Je » ne suis, fondamentalement, rien de ce qui se transforme. « Je » est ce qui ne change pas, ce qui était là avant tout début et qui sera là lorsque la forme aura disparu. Retour à l’origine du Un qui a produit le deux, puis le trois et les dix mille.

Et le Yi King dans tout ça ?

Pour aujourd’hui, on dira que le Yi King nous apprend les règles du jeu de la dualité, selon lequel tout est organisé sur le plan de la manifestation (le visible, l’incarné, ce que l’on nomme « réel » – alors qu’il me semblerait plus juste de parler de « réalité »).

J’ai toujours fait les choses un peu à l’envers. Peut-être est-ce pour cela que j’ose affirmer que, pour pouvoir retourner à l’origine ou du moins se rapprocher de l’intention première de la Vie, qui nous a fait prendre forme selon les modalités spécifiques qui caractérisent notre organisme, notre personnalité, nos expériences de vie, il est nécessaire dans un premier temps d’apprendre à voir que (presque ?) tout ce qui nous meut et nous émeut est issu des « dix mille choses » résultant de la diffraction du mouvement originel.

Diffraction (selon Wikipédia) : La diffraction est le comportement des ondes lorsqu’elles rencontrent un obstacle ou une ouverture.

L’évolution serait donc un chemin de retour qui commencerait par une prise de conscience de toutes ces choses que « je » ne suis pas, à commencer par les grandes brûlures de la vie, dont le caractère insupportable nous motive à fournir l’effort de dépassement mental nécessaire pour commencer à s’extraire de l’emprise de l’illusion de la réalité.

Fondamentalement, souffrir n’est pas grave, tout comme le bonheur n’est ni une nécessité, ni un dû. Simplement, tant qu’à vivre, autant le faire dans les meilleures conditions possibles. Or il se trouve que les conditions de notre existence, subjectives d’abord, objectives ensuite – pour autant qu’elles puissent l’être à la lueur du concept de synchronicité -, tendent à s’améliorer à mesure que l’on gagne en lucidité sur soi.

« Lorsqu’il fut illuminé, il put marcher dans la boue sans en être affecté. Il avait compris que la boue n’était que de la boue. » (Zen)

Je vous souhaite pourtant d’être heureux.

A lire sur ce site dans la même veine : Observer la peur et La peur, les pensées et la pensée

Post Scriptum

Être dans un questionnement ou un cheminement « spirituel » ne dispense pas de suivre une thérapie adaptée. Quand on a mal aux dents, on va chez le dentiste…

Prenez soin de vous.


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