Puissance, pouvoir, ego


Un, deux, troisAvant-propos. Aborder les concepts et les principes par groupes de 3 présente un avantage non négligeable par rapport à l’association par 2 : c’est une manière de déjouer la tentation de voir partout des couples d’opposés complémentaires et d’entretenir ainsi une vision erronée d’un monde bâti sur une multitude de faux couples Yin Yang. A propos des vrais et faux Yin et Yang, on se réfèrera à l’excellent texte rédigé par Thomas Cleary en introduction à sa traduction du Yi King (voir Bibliographie pour les références exactes de cet ouvrage), document déjà cité ici dans un article intitulé « Intention pédagogique 2010-2011 : connaissance et application ». Ceci dit, une réflexion basée sur une vision tripartite systématisée peut aussi mener à des écueils ; il en est ainsi, je crois, de toutes les pensées qui tournent sur elles-mêmes, comme une formule informatique présentant une erreur de redondance cyclique : elles n’engendrent qu’elles-mêmes et les questions n’aboutissent jamais vraiment à l’élaboration d’une problématique susceptible de nous faire rebondir dans un endroit non connu. Ne jamais oublier que l’homme ne peut vivre avec bonheur que dans un cadre fondamentalement ouvert (ce qui, on le rappelle, constitue l’une des formules mantiques les plus favorables du Yi King). Déjouer la tentation de voir des faux couples Yin Yang partout mais aussi celle de la pensée unique.

Ombres et miroirsDigression. Je questionne beaucoup depuis un an le travail sur l’ego que les pratiques énergétiques en général et le Taï Chi en particulier sont supposés nous aider à accomplir. Pratiquante passionnée d’arts énergétiques, en apprentissage permanent, je m’interroge sur la réalité de cet affinement du moi qui est proposée à l’origine du projet des arts internes (il est vrai aussi que cela dépend de la source à laquelle on se réfère). Comprendre, intégrer et être en capacité de mettre en application les principes de circulation de l’énergie confère indéniablement une certaine puissance ; le professeur, éventuellement, avertit ses élèves dès leurs premiers pas : rien ne dit, dans le projet, à quoi cette puissance énergétique est supposée servir ; et celle-ci a tôt fait de se transformer en outil de pouvoir et d’enkyster l’ego, alors que la pratique était supposée nous aider à en défaire les mailles trop serrées qui nous empêchent de respirer vraiment.

Joyeux Noël. J’ai un ami formidable, à qui je dois de nombreuses découvertes d’ouvrages concernant le Yi King et la pensée chinoise ; si je suis largement autodidacte en la matière, je lui ai pourtant une gratitude infinie pour les portes qu’il m’a ouvertes et pour sa présence bienveillante et discrète, sans aucune revendication. Il m’a offert récemment plusieurs livres, dont une traduction du Tao Te King que je ne possédais pas encore (parue chez Albin Michel, voir Bibliographie pour les références exactes). En l’ouvrant à la page où la carte publicitaire de l’éditeur avait été insérée, je suis tombée sur le chapitre 17, que je reproduis ici :

Un ami« Un souverain éminent
Reste inconnu aux yeux du peuple.
Puis vient celui que le peuple aime et loue
Puis celui dont il a peur
Enfin celui qu’il méprise.

Lorsque manque la confiance
La loyauté disparaît.

Le vrai dirigeant garde ses paroles
Accomplit sa tâche
Poursuit son œuvre.
Alors le peuple dit :
Nous sommes libres*. »

* Ou : Nous accomplissons l’œuvre nous-mêmes. [Ndlt]

Hexagramme 45, le RassemblementPropos antérieurs. Dans ce même article « Intention pédagogique 2010-2011 : connaissance et application » sus-cité, je rapportais  un extrait de l’hexagramme 45, le Rassemblement, traduit par Thomas Cleary, notamment ce passage :

«Le grand homme, lors même qu’il se perfectionne, favorise l’accomplissement d’autrui. En se perfectionnant, il anéantit son ego ; l’esprit et l’énergie gardent leur intégrité, et le moi trouve sa justesse. Par ce double accomplissement, les pensées sont suspendues et les phénomènes domptés. Une seule et même justesse réside à l’intérieur comme à l’extérieur – bienveillance, justice, courtoisie et compréhension surgissent alors à la lumière de la vraie sincérité. Lorsque ces éléments primordiaux sont rassemblés, les sens et la vie trouvent leur assise. »

L’énergie de l’art. J’ai réalisé récemment une performance artistique danse et vidéo intitulée « Sur le Rire et la folie – Peut-on faire feu de tout bois ? ». Ce projet, en cours de transformation conformément à sa nature, a pour point de départ sémantique le(s) désir(s) et le centre énergétique du plexus solaire. La projection vidéo qui sert d’environnement inclut des séquences Performance artistique sur le désir et le centre énergétique du plexus solaired’hexagrammes, et une voix enregistrée raconte les intentions artistiques, énergétiques et pédagogiques du projet. Ce n’est pas ici le lieu de décrire celui-ci ; je le cite simplement parce que, à la fin du texte qui habite l’espace pendant la première séquence, est évoquée (invoquée) l’idée qu’il s’agit peut-être de « dessiner ou danser comme on respire, (…) comme on se fond dans un paysage, (…) jusqu’à rentrer en soi-même totalement, (…) jusqu’à oublier que l’on existe. Danser jusqu’à disparaître. »

Abolir le temps. Pendant un temps, je trouvais intéressante l’idée qu’il fallait « apprendre comme si on devait vivre toujours, vivre comme si on devait mourir demain » (ce doit être une citation d’un Bouddha).Vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Et puis en discutant avec un ami (médecin), j’ai trouvé intéressant aussi son point de vue : vivre comme si on ne devait mourir jamais. En observant les liens et les résonances entre les textes cités ci-dessus, mes réflexions, mes projets artistiques et pédagogiques, les mots des autres, et en me souvenant aussi du sous-titre du Yi King thérapeutique de Marc Xavier Pialoux (voir Bibliographie pour les références exactes) : « Occuper l’espace, abolir le temps » ; j’en viens à me dire que, pour déjouer la trinité diabolique (c’est-à-dire « qui sépare » – serait-ce l’équivalent ternaire du faux couple Yin yang ?) de la puissance, du pouvoir et de l’ego, peut-être qu’un début de solution consisterait en effet à faire ce que l’on a à faire le plus totalement possible, en étant présent assez intensément pour disparaître (le vrai travail, si travail il y a, n’est donc pas forcément où l’on croit qu’il est, ni où l’on aimerait qu’il soit – qui aimerait qu’il soit ici ou là, d’ailleurs ?). Idéaliste ? Peut-être, mais réaliste aussi : « Ce n’est pas parce que le meilleur des mondes n’existe pas qu’il faut renoncer à un monde meilleur » (Edgar Morin). Or le monde est peut-être avant tout affaire de regard intérieur – mais cela, comme tout ce qui est dit sur ce site d’ailleurs, n’engage que moi.

P.S. du 31 janvier 2011 : Il s’agirait de s’entendre sur ce que l’on entend par « disparaître » et aussi, et surtout, de savoir (qu’est-ce) qui disparaît dans la disparition qui est ici envisagée.